A pas de géants

Zeebrugge a constitué une escale « technique » pour nous : nous avons fait la vidange du moteur, changé les filtres à huile et à eau de mer (avec l’outil acheté à Scheveningen, c’était un jeu d’enfant) : il nous restera à changer le filtre d’eau de refroidissement, mais l’état du moteur est rassurant. Il faut dire que nous l’avons largement utilisé cette année… Nous avons aussi constaté les dégâts sur l’ordinateur de Danièle arrosé de ti punch : il ne démarre plus. Nous avons bien cherché à le faire dépanner, mais les ateliers existants sont loin des centre-villes, et dans les délais dont nous disposons, c’est trop difficile. Nous avons aussi pu faire un peu de tourisme : la plage de Zeebrugge par bon vent est plutôt triste… En revanche le train nous a emmené en moins de 20 minutes à Bruges, et là, nous nous sommes régalés. A la radio, nous entendons les annonces d’inondations mortelles en Allemagne et au Sud de la Belgique, mais bizarrement, sur la côte on n’observe que le vent, avec des rayons de soleil entre les nuages.

Le port de Zeebrugge

Jeudi 16 juillet 2021

Le coup de vent est passé et nous avons étudié les courants : c’est à 8h30 que nous quittons la marina de façon à nous présenter à l’étale à la sortie du port. Effectivement, la mer est moins agitée que lorsque nous sommes arrivés, mais pas calme pour autant : le vent est toujours du Nord, et bien établi (18 kt). Elle est moins agitée lorsque nous nous éloignons des jetées. La navigation le long de la côte belge est aussi monotone qu’à l’aller, en 2018 : banc de sable à droite, longue plage habillée occasionnellement d’une ville de bâtiments de bord de mer assemblés en longues barres à gauche. Seul point qui mérite « un peu » d’attention : la traversée de la passe de Zuydecotte qui nous permet de traverser un banc de sable pour nous présenter devant Dunkerque. Et un long corps noir semi-immergé, indiqué par une balise qui n’est pas sur nos cartes, en travers de notre route : pas une baleine ; une épave ? L’entrée dans l’avant-port de Dunkerque ne pose pas de difficulté et à 14h30, nous sommes amarrés.

Dunkerque

Les vents se maintiennent au Nord-Est : étonnant. Mais nous souhaitons en profiter, et nous décidons de rejoindre Boulogne sans tarder. Les conditions sont similaires à celles de la veille, avec un trafic de ferries vers / de l’Angleterre « un peu » plus intense. Nous sommes sous spi asymétrique lorsqu’il nous faut réduire la vitesse pour laisser passer un ferry qui sort de Calais : nous « freinons », et ma foi, il passe. Nous passons le cap Gris Nez, et le vent est toujours avec nous. Nous savons qu’il y aura ensuite quelques jours de calme plat ; nous décidons d’ignorer Boulogne, et de poursuivre vers Cherbourg et la Normandie. Le vent nous est favorable tout l’après-midi, et sympathique jusqu’à 2 heures du matin, très arrière et nous naviguons avec les voiles en ciseaux sous génois tangonné.

La ronde des ferries autour de Calais mais moins nombreux ??

Le vent décroit toujours petit à petit et la mer se calme. La nuit est tombée, un cargo long de 400 m erre à 4 nœuds, attendant son tour pour entrer au Havre ? A minuit, la lune éclaire en grand notre chemin, mais à 2h, elle a jauni, « orangé » : elle se couche. Le ciel reste plein d’étoiles. Nous devons ranger les voiles et lancer le moteur. A 11h30, nous croisons 3 grands dauphins ; l’un d’entre eux bat violemment la surface de la mer avec sa nageoire caudale : en chasse ? Puis ce sont des fous de Bassan que nous voyons pour la première fois cette année, et deux pétrels fulmar qui viennent passer sous le nez de PikouRous : nous rentrons à la maison ! En début d’après-midi, le courant se tourne contre nous : les derniers nautiques sont fastidieux. Notre vitesse sur le fond est descendue à 1,5 kt ! Mais à 18h00 samedi nous sommes à Cherbourg, contents de notre progression.

Nous sommes fatigués, et décidons d’un arrêt de plusieurs jours. Nous faisons appel à un motoriste qui nous change notre filtre décanteur ; nous trouvons un atelier d’informatique qui confirme la mort cérébrale de l’ordinateur de Danièle et exporte les données du disque interne sur un disque dur externe. Nous rencontrons deux équipages de RM, membres de notre association et organisons un troc : valves anti-retour de WC Jabsco (plus ravitaillées par la Grande-Bretagne) dont ils ont besoin contre apéro : soirée agréable ! Il fait chaud et nous n’avons pas vraiment envie de visiter… Et les prévisions météo nous soucient : le cycle calme plat – grosse chaleur – dépression orageuse avec vents instables reprend : d’évidence, nous ne naviguerons ni jeudi, ni vendredi car les vents seront trop erratiques pour nous. Et à partir de samedi ils seront de nouveau très faibles, et de secteur nettement moins favorable.

Quitter Cherbourg signifie passer le raz Blanchard qui a sinistre réputation. Le vent de Nord-Est est favorable à notre passage, ainsi que l’heure à laquelle nous devrions quitter Cherbourg pour profiter des courants : 7H30 / 8h00 mercredi. Mais quelle destination nous donner ? D’habitude, nous faisons halte dans une des îles anglo-normandes avant de poursuivre vers le Nord de la Bretagne : à mi-chemin des côtes bretonnes elles sont bien placées et fournissent une halte agréable. Mais il y a un mois, des plaisanciers français ont été mis en quarantaine à Guernesey dans des circonstances qui nous ont parues douteuses. Une étude via Internet des directives françaises ainsi que des autorités de Jersey et de Guernesey de nous encourage pas à y faire halte. Nous contactons un autre membre de l’association AVRM basé à Guernesey : il ne comprend pas plus que nous ce qu’il se passe, mais nous indique qu’il n’y a aucun bateau français à Guernesey. D’ailleurs, il faut chercher dans le port de Cherbourg qui accueillait majoritairement des navires britanniques jusqu’en 2019, pour trouver un pavillon anglais. Et nous n’avons pas croisé un seul navire de plaisance britannique depuis le début de notre navigation. En revanche, des navires des Pays-Bas, belges et même suédois sont présents à Cherbourg en grands nombres. La situation est pour le moins étrange, et pour nous incompréhensible.
Bref, nous ne pourrons pas faire escale aux îles anglo-normandes et la prochaine navigation sera longue. Notre point de chute pourrait être Bréhat / Lézardrieux : nous arriverions de nuit dans un secteur très fréquenté, avec des courants importants. Idem pour Tréguier, un peu plus loin mais avec une configuration un peu plus simple. A Trébeurden, nous n’arriverions qu’au petit matin, mais à une heure favorable pour entrer au port (qui n’ouvre que 3 heures autour de la marée haute).
Nous discutons avec nos voisins de pontons belges, confrontés à la même difficulté et moins familiers que nous des lieux. Et mardi soir, notre décision jaillit de façon inattendue : nous partirons le lendemain. Les courses ne sont pas faites, nous ne sommes pas reposés, nous ne savons pas où nous ferons escale, et nous n’avancerons qu’au moteur… Mais l’alternative est de rester coincés à Cherbourg encore plusieurs jours… Le cheval qui sent l’écurie, les compromis…
La navigation est conforme à « nos » prévisions : vent arrière trop léger pour nous propulser (nous avons tenté le spi symétrique sans grand succès), mer d’huile devenant peu agitée, raz Blanchard nous poussant (jusqu’à 4 nœuds), mais tout cela dans le calme le plus complet (hormis le ronronnement du moteur). L’AIS nous révèle que nous sommes au cœur d’une petite meute de bateaux de plaisance qui se dirigent vers le raz, étirés sur une dizaine de nautiques. Nous passons au large d’Aurigny, puis de Guernesey et de Serk et enfin de Jersey avec une certaine rancœur… La brume s’installe en milieu de journée, mais pas de façon gênante. La mer étant calme, nous identifions 5 marsouins (ou petits dauphins très pressés) le matin, et dans la soirée deux troupeaux (ou le même deux fois ?) qui cette fois viennent jouer avec le bateau, à l’Ouest des Roches Douvres.
Notre décision a muri avec les miles parcourus et nous nous dirigeons vers Tréguier. A 22h15, nous rejoignons le premier alignement qui permet d’entrer dans la rivière Jaudy. Le ciel est dégagé, le soleil pas tout-à-fait couché et la lune efficace. Le 2° alignement consiste à aligner un feu rouge et un feu jaune, et le dernier consiste à progresser en restant dans le secteur blanc d’un phare qui émet une lumière tricolore. Rien de compliqué, mais la nuit s’installe peu à peu et l’enjeu est d’éviter les écueils qui encombrent l’estuaire d’autant que nous ne sommes pas loin de la marée basse. Sans encombre nous rejoignons l’emplacement que le guide nautique nous suggère pour un mouillage.

Feux rouge et blanc alignés à l’entrée de la rivière de Tréguier

Au final, un exercice que nous n’avions pas pratiqué depuis 2 ans, bien agréable dans ces conditions idéales. A 23 h nous sommes mouillés et contents. La nuit est parfaitement calme, et le paysage au réveil surprenant et serein. La remontée du Jaudy le lendemain matin à marée basse est enchanteresse. Nous avons aussi de beaux paysages… Jeudi à midi nous sommes amarrés à Tréguier, prêts pour la grosse chaleur de l’après-midi et les 48 h de dépression à suivre !

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